REFLETS D’UN BANQUET
C’est soir de fête. Le jeune poète Agathon, véritable star littéraire de l’époque, invite ses amis, les plus beaux parleurs de la cité, pour célébrer le succès de sa dernière tragédie
En fin de soirée, un défi est lancé : celui qui fera le plus bel éloge de l’amour gagnera. Au départ d’un texte millénaire, multipliant les anachronismes, transgressant les frontières avec conscience et joie, Pauline d’Ollone a réécrit le texte de Platon, donnant à cette suite d’éloges de l’amour plus d’oralité, y laissant la parole à une femme, les dynamisant jusqu’à retrouver l’émulation langagière des battles de rap ou de hip-hop, privilégiant autant la superbe de l’éloquence que le chemin de la pensée et ses errances.
INTENTION
Le vivant est anarchique, incompréhensible, impossible à saisir. C’est pour ça que je me méfie des intellectuels. La plupart du temps ils se protègent du monde en voulant le théoriser, en voulant l'organiser, le maîtriser. Pour moi le Banquet de Platon n’a rien d’intellectuel. On y trouve surtout des gens qui s’engueulent, se cherchent, se draguent, trouvent des règles de vie, des façons toutes provisoires de fonctionner.
Quand j'ai étudié ce texte au lycée, j'avais l'impression de recevoir une leçon, d'apprendre avec méthode des concepts. Tout cela était très sérieux. Je me disais : “ce philosophe va m’apprendre des choses essentielles. Il met en scène des gens très intelligents qui savent penser le monde et qui vont me transmettre leur savoir.” En relisant le texte des années plus tard, c’est tout le contraire qui se passe. Je me dis : “ces gens ne sont pas sérieux”.
Je relis donc et je suis déconcertée à chaque instant, prise à contre-pied. Je me retrouve aux aguets, prête à remettre en question ce que j'avais cru penser à la page d’avant. Prête à douter, à user de mon esprit critique. Peut-être c'était cela vivre une expérience philosophique? Pour la petite histoire Platon considérait Socrate comme le plus juste des hommes. Mais à l'époque des tribuns ont su convaincre la foule que Socrate était dangereux. Il a donc été injustement condamné à mort.
Quand Platon écrit son banquet, il a des comptes à régler avec ces orateurs qui influencent et manipulent les foules par la force du langage. C'est une dénonciation du populisme et de la démagogie qui entre en résonance avec l’actualité. On pense évidemment aux dernières campagnes électorales. On pense aussi à Erdogan à Poutine ou encore à Trump pour qui la véracité d'un fait n'est même plus une valeur, n'a plus d'importance et qui ouvre l’ère du « fait alternatif ».
Les personnages du banquet m’apprennent, parce que je les vois se tromper sans cesse. Je les vois errer et perdre les pédales, parfois à cause d’une histoire d’amour, parfois à cause d’enjeux de pouvoir. Scènes après scènes on s’attache aux personnages, on se fait une idée sur eux, mais la vie sur le plateau vient bousculer cette première impression. On croyait tel personnage drôle. Comment se fait-il qu'il me fait pleurer maintenant ? On croyait qu’un autre était stupide et sectaire. D'où vient, que ce qu'il dit, est maintenant plein de bon sens? On pensait que celui-là incarnait la sagesse.
Mais pourquoi a t-il maintenant un comportement si immature, si borné ?
Je m'attendais à de grands duels d’esprits et je me suis retrouvé parfois avec des scènes de Feydeau. Peut-être que les théories philosophiques se tissent aussi entre deux portes qui claquent?
Pauline d’Ollone
crédits photo Gaël Maleux
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Mise en scène Pauline d’Ollone
Jeu Pierange Buondelmonte, Adrien Durmel, Philippe Grand’henry, Anne-Marie Loop, Achille Ridolfi, Jérémie Siska
Assistanat à la mise en scène Sarah Messens
Création et réalisation des costumes Samuel Dronet, Sophie Seyli
Direction musicale Charles-Henry Boland
Conseiller artistique, dramaturgie et création lumière Guillaume Toussaint Fromentin
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Production Cie les Étrangers /// Coproduction Théâtre de la Vie /// Aide Fédération Wallonie-Bruxelles – Service du Théâtre (CAPT) /// Soutien Théâtre Océan Nord /// Remerciements Joseph Lacrosse, Jean Debefve, Louis de Balmann et Théâtre de la Galafronie
REVUE DE PRESSE
Vivre d’amour et de Philosophie
Le Soir, publié en décembre 2015 par Catherine Makereel
Qui dit Platon ne dit pas forcément platonique, Avec Reflets d'un banquet, Pauline d'Ollone adapte l'œuvre du philosophe antique dans une forme suave et charnelle. À l'aridité du discours, la metteuse en scène rétorque par un jeu ludique, excentrique, formidable ment vivant. D'emblée, la scénographie convoque chaleur et convivialité dans un Théâtre de la Vie complètement désarticulé. Exit la scène, les gradins en frontal, le mur séparant la salle du bar. En demi-cercle, les spectateurs prennent place dans l'agora où six acteurs empoignent Le Banquet de Platon et ses discours sur la nature et les qualités de l'amour.
Dans des costumes sobres et sans accessoires, ils n'ont rien d'autre que leur verve pour s'ac quitter des joutes philosophiques entre Socrate, Phédre, Eryximaque, Aristophane, et les autres. Il faut une sacrée dose de concentration pour suivre leurs démonstrations théoriques et envolées poétiques sur la nature divine d'Eros, sur l'amour sensuel opposé à l'amour spirituel, sur l'amour de l'idée et l'amour de la Beauté, sur la théorie des androgynes coupés en deux par les Dieux, qui recherchent leur moitié perdue dans tout l'univers. Il faut par fois s'accrocher au fil de cette surenchère oratoire mais la mise en scène nous sauve du rationalisme platonicien avec des digressions rocambolesques et un jeu haut en couleur.
L'un donne un tour dramatique au hoquet, un autre s'enfuit dans la rue pour expier sa colère, d'élégants pas de danse ou de délirantes chorégraphies ponctuent le récit. Philippe Grand'henry compose un Socrate lunaire et enflammé. Anne-Marie Loop égaye aussi ce banquet avec une présence clownesque, incarnant la joueuse de flûte ou Diotime avec le même allant. Tous déploient une présence fiévreuse qui ancre cette leçon de philosophie dans une jouissance brute pour en faire une expérience épicu-rienne de la pensée. Une gour-mandise pour les amoureux de rhétorique.
Un bonheur théâtral
Metro, publié le 4.12.2015 par Nicolas Naizy
S’emparer du célèbre « Banquet » de Platon et lui donner un nouveau peps tout en gardant sa finesse oratoire. Le dé est entièrement relevé par la jeune metteure en scène Pauline d’Ollone. Ce dialogue antique, dont la trame est ici respectée, revient sur un banquet offert par Agathon, poète tragique, qui invite amis et artistes athéniens pour célébrer la récompense de sa première tragédie. À la table du festin, les convives se lancent comme dé de déclamer le meilleur éloge de l’amour. Qu’est-ce que l’Amour ? Est-il divin ou mortel ? Est-il cadeau des dieux ou simple désir de l’Homme ? Le questionnement touche aussi des questions graves: le racisme ou la misogynie.
La discussion philosophique pourrait très vite s’avérer barbante si elle n’était pas mise en scène de manière dynamique et élégante, comme c’est le cas pour ces « Re ets d’un banquet », premier travail de la jeune femme formée à l’INSAS. Elle orchestre ce concours d’éloquence une dynamique et drôle joute verbale, où chaque personnage à sa place. Ceux-ci se taquinent, les envolées succèdent à des parties de ping-pong oratoire. Après le tour de Phèdre (Achille Ridolfi ), de Posonias (Jérémie Siska), d’Eryximaque (Pierange Buondelmonte), d’Aristophane (Ridolfi sans la veste) et d’Agathon (Adrien Drumel), il revient à Socrate (Philippe Grand’henry), resté spectateur jusqu’alors, de prendre la parole. Le philosophe exerce alors sa maïeutique, décortiquant de questions en questions les discours enjoués de ses camarades de festin. Sans s’y attendre, le rhéteur plonge dans son passé, lorsque la douce Diotime (une facétieuse Anne-Marie Loop, qui donne corps à un rôle féminin bien trop réduit dans la version originelle) lui fournit la vérité de l’Amour, clouant le bec aux discussions théologiques et sophistiques. À moins que ce soit Alcibiade (Siska de nouveau). Quelque peu éméché, le rebelle ramène Socrate à ses faiblesses d’amant.
La langue est musicale et vivante. On sent l’amour des mots et du combat qu’ils se livrent. Faisant d’une scénographie élaborée, Pauline d’Ollone pousse l’épure à son maximum en faisant se mouvoir ses acteurs au milieu de public perché sur de petits gradins disposés en arc de cercle. Le regard des comédiens plonge dans celui des spectateurs avec intensité. L’espace de jeu s’éclate ensuite en dépassant l’espace scénique réduit en occupant l’ensemble du Théâtre de la Vie complètement ouvert sur son bar et son gradin supérieur. Des cours de philo comme celui-là, on en redemande. Car ici, l’oralité est mise en scène avec intelligence, évitant les poncifs d’un théâtre antique parfois plombant. La Compagnie les Étrangers fait le pari d’une réflexion ludique, où le plaisir du jeu des comédiens se partagent sans ennui. Une certaine idée du bonheur théâtral!
IVRESSE VERBALE
Demandez le programme, publié le 7.12.2015 par Catherine Sokolowski ⭐ ⭐ ⭐ ⭐
Accueil ouvert et généreux au Théâtre de la Vie à l'occasion des Reflets d'un banquet, adaptation du Banquet de Platon par la jeune Pauline d'Ollone. Le charme du lieu doublé d'une atmosphère conviviale entoure les discours philosophiques parfois pompeux d'une aura bienveillante. Les comédiens interpellent le public, pas forcément obligé de répondre, du regard principalement, et cette communication visuelle illumine les débats. Un échange vif et intéressant entre les convives du jeune poète Agathon d'une part, les comédiens et le public d'autre part.
Nouvel agencement des lieux avec, pour toile de fond le (vrai) bar du théâtre. Même la sortie est intelligemment utilisée comme telle. Le Banquet de Platon est constitué d'une suite de discours écrits en 380 avant J.-C. sur les thèmes de l'amour et de la beauté L'esprit est assez fidèle au texte original même si Pauline d'Ollone y ajoute sa touche personnelle notamment en renforçant le rôle du seul personnage féminin (Anne-Marie Loop alias Diotime, le contradicteur et la joueuse de flûte).
Le Banquet est organisé pour célébrer la victoire d'Agathon, jeune poète qui a reçu un prix dans un festival Ayant tous beaucoup bu la veille, les invités décident de se modérer Eryximaque, médecin instruit interprété par le charismatique Pierange Buondelmonte, organise les débats. Chacun à son tour y participera, apportant son style et son emphase à un thème intemporel. Parler de l'amour est un plaisir, débattre à n'en plus finir sur ses vertus, prouver une chose et son contraire pour finalement arriver à douter, tels seront les enjeux de ces discours, parfois abscons. Les joutes se succèdent, menées par Phèdre (Achille Ridolfi), brillant orateur, Agathon (Adrien Drumel) qui rappelle de temps en temps l'objet de la fête (son prix), Pausinias (Jérémie Siska) amant d'Agathon, Aristophane (Ridolfi aussi), Diotime (Anne-Marie Loop), Socrate (avec la voix grave de Philippe Grand'henry) qui se fait désirer ou Alcibiade (Jérémie Siska transformé), ivre et légèrement provoquant.
Moderne et modernisé, le texte fourmille de réflexions. Ce qu'on n'a pas, ce qu'on n'est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l'amour. Avec aussi quelques parallélismes avec factualité, comme une digression sur le racisme.
Le Banquet est raconté, de temps en temps, les discours se font indirects: la soirée est en fait relatée. Il ne serait pas inutile de relire les textes originaux avant d'assister au spectacle, toutefois, moyennant une certaine concentration, il est possible de profiter de la plupart des débats. La scénographie constitue certainement le point fort de ces échanges malgré quelques petites (charmantes) imprécisions. Le dynamisme des acteurs qui semblent revivre en parlant de l'amour (quoi d'étonnant en fait ?) est le second atout de ce rendez-vous avec Socrate qui enchantera les amateurs d'art verbal A découvrir rapidement, la salle est petite!
IVRESSE VERBALE …
Rue du théâtre, publié le 9.12.2015 par Suzane Vanina
C'est une célébration joyeuse de la pensée et de l'éloquence que propose cette version toute neuve d'un fameux texte philosophique ancien. "Le Banquet", composé par Platon un peu avant 374 av. J.C., est déjà un dialogue, soit une discussion entre deux ou plusieurs personnes, soit déjà... une forme théâtrale.
L'argument ? Le poète Agathon donne une réception chez lui, à Athènes, pour fêter son premier succès théâtral et chacun des invités - des V.I.P. tels que Socrate ou Artistophane - sera amené à discourir sur un thème commun: Eros, l'Amour, et son objet le Beau, Eros à la fois possession et don de soi. Et l'on verra comment de l'amour des beaux corps, des beaux esprits, l'amour terrestre conduit à l'amour céleste, l'amour du Beau en lui-même, l'amour absolu. Alors que le médecin Eryximaque tentera d'organiser le débat (les six "éloges d'Eros"), les orateurs vont argumenter, défendre et confronter leurs idées, chacun dans son style, mais chacun avec une belle éloquence ! Un dernier "éloge" plutôt en forme de mise au point, sera fait par un Alcibiade "imbibé" et aura pour objet... Socrate lui-même.
Mis à part pour les personnages de Socrate/Philippe Grand'henry, et d'Agathon/Adrien Drumel, les acteurs en assument plusieurs, avec le même brio. Rien que des protagonistes masculins: Apollodore, Aristodème, Eryximaque/Pierange Buondelmonte - Pausanias, Alcibiade/Jérémie Siska - Phèdre, Aristophane/Achille Ridolfi. Une joueuse de flûte vite congédiée et surtout une femme qui n'était qu'évoquée par Platon seront présentes dans cette assemblée d'hommes, l'inspiratrice de Socrate, Diotime, prêtresse de Mantinée, en Arcadie/Anne-Marie Loop... elle ne sera pas en reste de proposition. La comédienne sera également "un contradicteur", personnage neuf, bien intéressant pour interroger les Anciens. Une distribution jeune en majeure partie, avec deux artistes au talent éprouvé, non pas pour les soutenir mais pour former une bonne équipe sous la direction d'une jeunette dont c'est la première mise en scène importante, Pauline d’Ollone. Une révélation. Sur base d'une réécriture longuement travaillée, en osant quelques ajouts (extraits de Lucrèce) au texte original et un point de vue personnel, sa version allie l'intelligence à l'inventivité.
L'intellectualisme au vestiaire
Se désankyloser l'intellect... ça fait du bien ! Surtout quand cela se passe dans une ambiance détendue, un lieu accueillant. Le gradin de la salle est en partie démonté et voilà le public abordant le spectacle avec l'impression d'être lui-même invité, sinon à un grand banquet digne de ce nom, du moins à une petite réunion conviviale et sympathique entre vieux amis. Libre à chaque spectateur de réagir au non aux adresses directes des comédiens, tous englobés dans un même cercle ludique... De quoi se sentir citoyens à parts égales. Ce n'est certes pas la première fois que l'on voit ce théâtre, salle et plateau, complètement chamboulés. Sa disposition particulière s'y prête sans doute: le bar est de plain pied avec la salle ; le lieu lui-même est en prise directe avec la rue. Cette disposition permet des déplacements d'acteurs amusants: le bar garde sa fonction et des sorties peuvent s'effectuer vers un extérieur réel. En costumes modernes, avec des diversions amusantes - entre autres, le hoquet de Phèdre prévu par Platon mais ici en séquence résolument décalée, ou bien celle où l'on voit Agathon pris de frénésie musico-dansante...- le ton est loin d'être pompeux, et personne ne se prend réellement au sérieux. Alors, c'est "La philo pour les Nuls"? Pas tout à fait car le spectacle a le mérite, sans grands efforts de concentration, de dérouiller les circuits de notre actuelle réflexion critique, bien utile en tous temps !
POUR LE bonheur du théâtre
Bruxelles culture, publié le 12.12.2015 et le 17.10.2017 par Christian Jade ⭐ ⭐ ⭐ ⭐
Le Théâtre des Martyrs a la bonne idée de reprendre un spectacle audacieux que Pauline d'Ollone consacrait au" Banquet" de Platon, au Théâtre de la Vie. Une des 3 meilleures 'découvertes' aux Prix de la Critique 2016. Au petit espace du Théâtre de la Vie succède la grande salle des Martyrs. Un beau défi. Nous reproduisons de larges extraits de notre critique de l'époque, avec un 4**** comme marque d'estime.
Citations texte 2015. "Pour donner vie à six personnages du Banquet en quête d'amour (ou plutôt d'un éloge/définition de l'amour) la jeune Pauline d'Ollone, actrice, violoniste et metteuse en scène a sa recette: "Je pars d'un texte millénaire, où j'invite des personnages d'aujourd'hui, comme si le spectateur se levait de sa chaise pour interroger les Anciens Je multiplie les anachronismes, je transgresse les frontières, de façon décidée".
Et le résultat ?
Les protagonistes du Banquet se livrent à un concours d'éloquence sur le thème de l'amour mais leurs monologues sont incarnés, Socrate n'est pas un maître omniprésent mais désiré, attendu comme arbitre et même comme amoureux dans ce débat. On sent les "couples" à l'intérieur des échanges verbaux et le besoin de séduction général. Enfin le personnage de Diotime, la prophétesse inspirée, seulement "citée" par Socrate dans le Platon d'origine, est un vrai "personnage, sopposant à Socrate. Elle est incarnée, avec quelle verve, par une Anne-Marie Loop au sommet de sa forme, joueuse de flûte mais surtout contradicteur philosophant' sur l’amour... et la race résolument actuel. Amour, musique et rythme : une distribution à l'unisson de la partition.
Ce dialogue sur les formes d'amour grec antique, vante donc l'homosexualité mais Diotime fait éloge du corps féminin car" la procréation constitue la part d'éternité et d'immortalité qui est accessible au mortel. Or l'engendrement n'est possible que dans la beauté. La beauté est centrale dans le débat: beauté du corps masculin, "céleste", préféré à la relation "populaire" d'un homme et d'une femme. Beauté de la pensée qui nous élève. L'amour est-il un dieu ou un démon, intermédiaire entre l'homme et les dieux? Sommes-nous des "androgynes" que Zeus a séparés pour nous obliger à retrouver l'âme sœur?
La traduction" de Platon vise l'oralité et la musicalité des mots. "J'ai cherché, dit Pauline d'Ollone une efficacité orale,... que les mots soient percutants que chacun ait une façon particulière de parler...Le texte... écrit à voix haute... a été conçu comme une partition musicale." Et ça se sent que les acteurs, ont un plaisir immense à le porter vers nous ce beau texte à la fois subtil et drôle. Ils forment un très beau groupe choral face aux solos et duos qui se succèdent en souplesse. Philippe Grand-Henry, Socrate à l'écoute plus qu'en majesté, Anne-Marie Loop, multiforme et inspirée ont à leurs côtés de lumineux complices, Jérémie Siska et Achille Ridolfi et deux jeunes pousses prometteuses, Pierange Buondelmonte et Adrien Drumel.
Ce spectacle, vraie "découverte", adaptable à tous les lieux, moyennant un élargissement de son "arène", mériterait de tourner dans de nombreux lieux de Bruxelles et de Wallonie."
Voilà qui est fait, à Bruxelles, du moins.
UN BANQUET ROYAL
Alternatives théâtrales, publié le 7.01.2016 par Laurence Van Goethem
Quoi de mieux pour terminer l’année 2015 que d’assister au Banquet de Platon, au si bien nommé Théâtre de la Vie, tous deux (texte et espace) revisités par Pauline d’Ollone et six comédiens fabuleux. Remémorons-nous ce texte alors que nous essayons péniblement de nous remettre de notre gueule de bois post-réveillon et de manière à débuter l’année par de bonnes résolutions : relire nos classiques fondateurs, en particulier grecs. L’actualité de l’herméneutique platonicienne n’a pas échappé à notre jeune et talentueuse metteuse en scène qui révèle ces propos d’une haute rigueur intellectuelle dans une belle inventivité dramaturgique. Les convives décident, lors de cette soirée chez Agathon, de ne pas s’enivrer (prenons- en de la graine) et, pour animer la réception qui pourrait sembler quelque peu soporifique, ils se lancent dans un concours d’allocutions sur le thème de l’amour. Le spectateur, qui est soumis successivement aux différents points de vue d’Aristodème, d’Eryximaque, de Pausanias, de Phèdre, d’Appolodore, sans oublier Socrate, est à chaque fois captivé: tour de force de conviction systématique, magistralement accompli par les comédiens.
Où il y sera question de genres (pas seulement homme et femme, c’est plus compliqué que cela), de Dieu(x) et d’amour donc, moins de Thanatos et plus d’Éros, surtout vers la fin de la soirée où ça part carrément en vrille, avec scènes de jalousie (Alcibiade – joué par Jérémie Siska – confesse que Socrate l’a toujours repoussé, qu’il souffre d’un double sentiment, amour fou et folle souffrance d’amour-propre, tout en gardant bon espoir), baisers fugaces et – rapide – rave party animée par Adrien Drumel alias Agathon, déployant une belle énergie dans une inoubliable séquence de rap électronique en grec ancien, grand moment de théâtre, qui se termine sur une chorégraphie de groupe, style dimanche après-midi sur la plage de Torremolinos.
Autre temps fort, Philippe Grand’Henry, qui joue Socrate, agacé par ces agapes qui n’en finissent pas (et sans doute surtout contrarié de ne pas avoir le dernier mot) nous fait une sortie, non seulement de scène mais carrément du théâtre, dans la rue (encore une fois la bien nommée « traversière »). Là, on reprend conscience de la vie réelle, quelques voitures passent en klaxonnant, un piéton en profite pour jeter un coup d’œil à l’intérieur, se demandant sans doute ce que font ces gens silencieux, assis sur ces gradins de fortune, un trivial coussin sous les fesses... Ouf, voilà Socrate qui revient, non sans claquer la porte une bonne fois pour toutes, plus en forme que jamais et prêt à déclamer sa tirade en compagnie de son ancienne maîtresse (de Philosophie bien sûr !) Diotime, une Anne-Marie Loop belle et sensuelle à souhait, qui fait presque tourner la tête aux protagonistes de ce conciliabule quelque peu homosexuel.
Magnifique créativité scénique donc, où l’on a eu l’impression d’avoir réfléchi – merci Socrate – :« Peut-il y avoir d’amour du laid ? »,« Est-il dans la nature de l’amour d’être amour de quelque chose, ou de rien ? » ou « L’amour n’est pas seulement le désir de posséder ce qui est bon, mais le désir de le posséder toujours »... À méditer.
Revenons-en aux acteurs, brillamment dirigés: Aristodème et Eryximaque, interprétés tout en subtilité par Pierange Buondelmonte (qui porte aussi un moment la parole d’Épicure). Ce même Eryximaque qui, comme son nom l’indique en grec, fait cesser littéralement le hoquet d’Aristophane, puissamment incarné, lui, par Achille Ridolfi, qui nous offre par ailleurs vers la fin une interprétation en chant pleine de cœur de l’air final du Didon et Énée de Purcell, opéra baroque par excellence (bravo pour le choix musical). Plus tôt dans la soirée, il nous avait parlé de son fameux mythe: à l’origine, nous étions tous androgynes. À la fois homme et femme, nous avions la forme d’une sphère, et nous nous déplacions par culbutes, en roulant sur nous-même. Notre ambition nous poussa à vouloir devenir l’égal des dieux. Zeus nous punit non pas en nous tuant, mais en nous affaiblissant : il coupa chacun de nous en deux moitiés, l’une mâle et l’autre femelle. Mais chacun, regrettant l’unité originelle, cherchait sa moitié et voulait la rejoindre...
En ce début d’année 2016, rappelons-nous, grâce au théâtre notamment, de l’importance de débattre. Continuons à nous questionner, à nous confronter, à nous pencher sur nos mythes fondateurs et restons enthousiastes (du grec enthousiaszô, qui désigne à l’origine le fait d’être possédé par un Dieu – terme utilisé à foison dans Le Banquet)
LA PHILOSOPHIE EN ACTION
Le Suricate magazine, publié le 20.10.2017 par Marie-Laure Soetaert
Une invitation à un banquet, ça ne se refuse pas, surtout s'il est question de nourrir une réflexion philosophique par le rire et l'émotion. Alors que le nihilisme est plus que jamais dans l'air du temps, la jeune metteure en scène Pauline d'Ollone nous propose un moment d'arrêt et de questionnement salutaire sur le beau, l’amour et les dangers de la rhétorique. Au départ d'un texte millénaire, le célèbre Banquet de Platon, elle revisite des époques lointaines pour créer un trouble, démonter la pensée et les mécanismes de séduction des discours à l’idéologie dangereuse. Dans son spectacle au ton vif et Inventif, elle interroge les Anciens tout en multipliant les anachronismes pour mieux nous aider à voir au-delà des apparences.
C’est soir de fête. Le jeune poète Agathon invite ses amis pour célébrer le succès de sa dernière tragédie. Il a réuni les plus grands orateurs de la cité: Phèdre, Pausanias, Eryximaque, Aristophane Socrate et Alcibiade. Très vite, un concours d'éloquence est organisé pour permettre à ces brillants parleurs de rivaliser en imagination et en joutes verbales. Le sujet ? L'amour, bien sûr. Celui qui en fera le plus bel éloge gagnera. Les convives prennent tour à tour la parole. Ces joyeux fêtards ne sont pas avares de bons mots et ne craignent pas le désordre. Les discours s'additionnent, se complètent, se suivent et se répondent dans un impressionnant maelstrom. La parole tantôt lyrique, tantôt prosaique fait le grand écart entre truculence et raffinement. Pour tout vous dire, on y entend bien sûr beaucoup d'alexandrins mais aussi des éructations!
Pour aider le spectateur à exercer son esprit critique, Pauline d'Ollone y a ajouté le rôle du contradicteur qui met en lumière les discriminations et intolérances de Pausanias, dans sa volonté de créer des normes et des hiérarchies entre les personnes (racisme, inégalité homme/femme, mépris de la province), et nous apporte un éclairage contemporain. Enivrés par la surenchère de discours, certains se perdent dans des envolées délirantes. D'autres envoûtent en mariant séduction et manipulation dans leur éloge. C'est le cas du beau et talentueux Agathon qui démarre son discours ('amour est jeune, l’amour est beau) avec beaucoup d'emphase pour le terminer en chanson dans un grec ancien endiable. Mais Socrate veille au grain, Constamment à la recherche de la vérité, il n'hésite pas à démonter les discours qui se vident de sens
Après avoir investi le petit Théâtre de la Vie, il y a deux ans, dans un cadre intime qui permettait une relation privilégiée et directe avec le spectateur, la troupe fait son entrée au théâtre des Martyrs. Dans la grande salle, le rapport au public est différent mais les comédiens instaurent un lien fort entre la scène et les spectateurs par leur jeu généreux et large. Installés dans un décor de petit théâtre antique qui se démonte au gré des discours, ils prennent un plaisir évident à porter vers nous ce beau texte aux résonances actuelles. Tous incarnent leur rôle avec passion. A commencer par Anne-Marie Loop, lumineuse et protéiforme (la joueuse de flûte, le contradicteur et Diotime) qui porte magnifiquement le texte de la prophétesse. Toujours d'une grande finesse, elle nous enchante par la délicatesse et la limpidité de sa langue lors de ses échanges avec Socrate. Philippe Grand Henry (Socrate) est plus que convaincant dans ses dialogues, cherchant avec ferveur un interlocuteur capable de l'aider à progresser dans la quête de la vérité. Les autres jeunes comédiens ne sont pas non plus en reste. Achille Ridolfi nous conte le célèbre mythe d'Aristophane et la théorie de lâme-sœur avec une rhétorique gracieuse. Pierange Buondelmonte en Eryximaque joue un médecin troublant qui déraille un peu. Quant à Jérémie Siska et Adrien Drumel, ils dépeignent l'amour (et ses blessures) avec beaucoup d'exaltation.
A la fois drôle et subtil le spectacle de Pauline d'Ollone multiplie les pistes de réflexion, fait appel à la liberté de l'esprit critique. On peut également voir la pièce comme une porte d'entrée vivante et accessible dans la philosophie et dans l'œuvre de Platon. Bref, Reflets d'un banquet est un spectacle dont on ne peut que faire l'éloge.