Phèdre.s
Phèdre brûle en secret pour Hippolyte, fils de son époux, le roi Thésée auquel elle fut mariée de force, absent du royaume depuis longtemps et dont l’annonce du décès ouvre les vannes de sentiments réprimés. La jeune reine ne contient plus les passions qui l’habitent, con e son trouble et se voit rejetée par le jeune homme aimé. Au retour du vieux monarque prétendu mort, c’est l’équilibre du palais qui vacille et le monde de chacun qui s’écroule…
Les sensualités condamnées éclatent au grand jveour, les désirs enfouis et les luttes intérieures se révèlent, se glissent entre les êtres, déforment les carcans et mènent à l’implosion des systèmes établis. Entre alors en irruption toute la révolte d’une jeunesse en quête de liberté. Dans une oscillation constante entre transgression et rappel à l’ordre, Phèdre(s) exhibe les passions réprimées par une société patriarcale impuissante à les contenir, et le flow du hip-hop se heurte à la Grèce antique et au rythme viscéral de la langue racinienne.
Phèdre(s), c’est une expérience troublante et corrosive qui mêle à la danse destructrice de la tragédie le beat entêtant des poésies rageuses qui traversent les langages et les corps.
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Texte Jean Racine | Avec des extraits du Pauvre folle de Phèdre d’Eugène Durif
Mise en scène Pauline d’Ollone
Jeu Habib Ben Tanfous (Hippolyte), Pierange Buondelmonte (Théramène), Leila Chaarani (Aricie), Liesbeth Kiebooms (Ismène), Nelly Latour (Phèdre), Gaëtan Lejeune (Thésée), lliass Mjouti (Panope), Catherine Salée (Œnone)
Dramaturgie, scénographie, collaboration artistique Pierange Buondelmonte, Guillaume Toussaint Fromentin
Lumières Renaud Ceulemans
Costumes Gaëlle Marras
Création musicale Gabriel Govea Ramos
Régie générale Matthieu Kaempfer Assistanat à la mise en scène Lorena Spindler
REVUE DE PRESSE
Racine dans l’air du temps
Karoo, Romain Witterbroudt 14 octobre 2024
Jean Racine ne peut laisser indifférent. Sa tragédie sous forme d’alexandrin prend aux tripes et transcende le spectateur avec une grande force. Avec Phèdre(s) , Pauline d’Ollone, jeune metteuse en scène, se lance un défi à la hauteur de la plume racinienne. Pauline d’Ollone n’en est pas à sa première mise en scène. Sa pièce Reflets d’un banquet , réécriture personnelle du Banquet de Platon avait d’ailleurs déjà été jouée dans ce même théâtre des Martyrs.
À peine entrée dans celui-ci, la scène s’offre à moi et aux autres spectateurs déjà installés. Chacun s’interroge du regard : les acteurs sont déjà sur scène. Alors que les hommes se battent et s'entraînent, les femmes se maquillent ou s’étirent. Sommes-nous déjà dans la mise en scène ? La réponse reste floue, plongeant volontairement le spectateur dans le doute et le malaise. Le signal de départ est lui-même indistinct. Pas de fidèles coups qui réveillent l’endormi, mais un départ rapide qui me laisse perplexe et m’entraine dans l’ambiance.
L’histoire, je la connais déjà. Phèdre, mariée de force à Thésée, tombe amoureuse de son beau-fils, Hippolyte. Fils de Thésée et d’une précédente compagne, Hippolyte est en effet un magnifique jeune homme qui, se refusant depuis toujours à l’amour, cherche à fuir l’influence paternelle. À l’annonce de la mort de Thésée, chacun semble rattraper son souffle avec fureur, s’autoriser à la vie après une longue pause. Les passions se révèlent enfin, chacun démêlant amour et haine en un large florilège d’émotions.
Comment cela sera-t-il joué ici ? Je reconnais déjà, dès le départ, le souffle racinien. Les alexandrins s'enchaînent, une maîtrise de la langue incroyable est mise en scène face à moi. Je respire un peu mieux, soulagée de voir que la langue n’a pas été remaniée dans un français moderne ou moins intéressant. Au contraire, Pauline d’Ollone semble avoir réellement saisi le pouvoir de l’alexandrin. Prenant le parti de s’y accrocher, elle nous offre une mise en scène rythmée qui donne de la voix et de la force aux personnages. Justement utilisée, la langue de Racine est magnifique et donne toute sa dimension tragique au texte. Grâce à elle, les émotions de Phèdre sont troublantes et affreuses, les passions d’Hippolyte sont nouvelles et destructrices. Ce qui pourrait sembler banal prend un tournant monumental.
L’interprétation est donc pour moi bien dosée dès le départ. Agréablement surprise, je me laisse progressivement emportée dans l’histoire, installée dans un fauteuil confortable. Personne n’est à mon côté, les bulles Covid sont respectées. En sécurité, je me sens alors à même de regarder sans angoisse le spectacle qui se déroule face à moi.
Peu à peu, je prends conscience de la présence sur scène de tous les acteurs. En effet, ils circulent tous sans cesse face à nous sans que cela ne nous perturbe le moins du monde. Celui qui au départ ne m’attirait pas commence alors à m'interpeller. Je parle ici d’Hippolyte, interprété par Habib Ben Tanfous. Alors qu’à l’entrée dans la salle, l’acteur paraît jeune et fébrile, son interprétation n’en devient par la suite que plus grandiose ! Il réussit à émouvoir et emplit la salle de sa présence. Sous ses airs discrets, il nous surprend et nous renverse. Même caché sous un voile, sa force nous atteint. Sans chercher à trop en faire, il reste juste et bouleverse le public.
Nelly Latour réussit aussi à me charmer. L’actrice interprète une Phèdre émouvante et pleine de contradictions intérieures qui la déchirent. Elle réussit à nous transmettre ses émotions, et à insuffler au personnage une fragilité qui détrompe la Phèdre froide et distante qu’on aurait pu s’imaginer. Tous les acteurs réussissent à rester justes dans leurs interprétations. Leila Chaarani, comédienne jouant Aricie, semble prise par une rage intense tout au long de la pièce, donnant peut-être trop de la voix pour se faire entendre.
Cette pièce serait-elle parfaite ? Alors que je la regarde, je repère malgré moi quelques éléments qui me déplaisent. À certains moments, on a fait le choix de s’écarter du texte pour insérer quelques phrases originales. Je ne suis pas emballée par ces paroles qui semblent tomber comme un cheveu dans la soupe. Arrivées de nulle part, elles cherchent à faire rire le spectateur mais ne créent en moi qu’un léger malaise dû au décalage qu’elles provoquent. Heureusement peu nombreuses, je parviens vite à les oublier.
De plus, malgré le très bon moment que je passe, je ne peux m’empêcher de remarquer quelques longueurs. Sont-elles dues au texte de Racine, en alexandrins, difficiles à comprendre et peu habituels ? Ou alors simplement à un défaut de la mise en scène qui ne précipite pas assez les choses ? J’en viens à espérer un mouvement plus rapide, une fin qui se fait désirer longtemps.
Sortie de la salle, je m’interroge. Et le décor alors ? Presque aucun décor n'a accompagné la pièce. Les acteurs se contentent de circuler librement sur scène, laissant libre cours à notre imagination. Ce choix de mise en scène ne m’a absolument pas déplu, au contraire. L’absence de décor permet de se concentrer pleinement sur les personnages et leurs émotions. Sobre mais efficace. Les quelques détails qui s’ajoutent, comme par exemple la présence d’eau sur scène à la fin de la pièce, suffisent à donner de la force au spectacle sans l’alourdir.
Phèdre(s) de Pauline d’Ollone est donc une pièce intéressante que je ne peux que conseiller ! Elle saura charmer les connaisseurs de Racine comme les nouveaux spectateurs. Les choix de la metteuse en scène nous plongent véritablement dans l’ambiance de la pièce. Le démarrage bien que curieux nous place comme voyeur, presque participant au spectacle. Les comédiennes et comédiens tous talentueux réussiront à partager les émotions d’une si intense tragédie. Attention à peut-être lire un rapide résumé de la pièce avant pour saisir les différentes subtilités.
les fables d’Ollone
Le Soir + Catherine MAKEREEL 23.09.2021
Après le très remarqué « Reflets d’un banquet », inspiré de Platon, Pauline d’Ollone s’attaque à un autre grand auteur classique : Racine. Au Théâtre des Martyrs, Phèdre.s se jette à l’eau, littéralement.
Les effets de mode, Pauline d’Ollone n’en a cure. A l’heure où les jeunes compagnies ne jurent que par les écritures de plateau. A l’heure où on ne communique plus par de longues lettres mais par SMS laconiques, voire par émoticônes censés synthétiser nos émotions en une grimace. À l’heure où le théâtre flirte avec les nouvelles technologies, une vidéo valant bien souvent un long discours, Pauline d’Ollone veut continuer de croire en une langue fleuve, des textes gourmands, des répliques dont on se repaît juste pour leur musicalité. Après son très remarqué Reflets d’un banquet , inspiré de Platon, la metteuse en scène s’attaque à un autre copieux morceau littéraire : Phèdre de Racine. Et cette flamme, à contre-courant, pour le verbe, vaut, à elle seule, d’être saluée.
Sur le grand plateau des Martyrs, un large bassin imperméable annonce le cataclysme : les passions des uns et des autres ne noieront, au propre comme au figuré, dans le flot irrépressible de la tragédie.
Déclamations
Phèdre aime Hippolyte, le fils de son époux, le roi Thésée, depuis longtemps absent du royaume. Quand elle apprend le décès de Thésée, Phèdre se met à espérer et ouvre son cœur à Hippolyte qui, de son côté, brûle d’un amour interdit pour Aricie, princesse déchue. Pour corser le tout, Thésée, qui n’est pas mort finalement, réapparaît dans un royaume où rivalités politiques, rancœurs amoureuses et manœuvres en coulisses vont précipiter la chute des protagonistes. Un feu contagieux couve chez les comédiens. Les clapotis de l’eau, suscités par les pulsions des corps dans le bassin bientôt submergé, évoquent aussi bien le combat d’Hippolyte contre un monstre marin que les personnages pataugeant dans leurs frustrations intimes ou diplomatiques.
la danse verbale des vers de Racine
La Libre, Critique Marie Baudet
À l’heure du langage “disruptif” glorifié, devant la schématisation propre aux réseaux sociaux, “proposer un écart”, un spectacle en alexandrins, “avec des sentiments et des passions qui dépassent l’entendement habituel”, représente “un acte fou et éminemment subversif”, pour Pauline d’Ollone.
“Mettre en scène un Racine est un acte poétique qui s’inscrit dans une gratuité révoltée”, note-t-elle. “Il y a chez Racine quelque chose de très démocratique : un rythme fort, peu de mots compliqués”, nous expliquait la metteuse en scène à l’automne 2020, moment initialement prévu pour la création reportée par les circonstances que l’on sait. “Je propose de quitter un temps la société des réponses et de l’efficacité, de redécouvrir des mots que l’on connaît mais agencés de façon inhabituelle”, écrit-elle à présent que le spectacle rencontre enfin son public.
Le mouvement comme texture
Pièce maîtresse du répertoire classique, Phèdre(s) ancre ici son pluriel suggéré dans un présent non daté mais irréductiblement d’aujourd’hui. En passant par l’incarnation, la contemporanéité des interprètes. Leur familiarité avec la danse – Habib Ben Tanfous (Hippolyte), Liesbeth Kiebooms (Ismène), Ilias Mjouti (Panope) – confère à leur présence une texture, une fluidité qu’épouse le jeu de Pierange Buondelmonte (Théramène), Leila Chaarani (Aricie), Nelly Latour (Phèdre), Gaëtan Lejeune (Thésée) et Catherine Salée (Œnone).
D’emblée à vue sur le plateau dégagé, la distribution s’ébroue, s’étire, s’échauffe, s’élance dans ce qui, aussitôt, s’annonce comme une mêlée. Car les enjeux soulevés ici ne sont pas qu’amoureux tourments d’une marâtre se consumant d’une flamme interdite pour le fils de son époux. Ils sont politiques aussi, dans le sens le plus vaste qui englobe les systèmes de domination, les convenances, les alliances.
Acuité, énergie, puissance. La scène est habitée. On se sent à la fois en connivence et bousculée par la proposition de Pauline d’Ollone, qui traite les vers raciniens avec respect et une sorte de désinvolture joyeuse, parfois rageuse.